Dunkerque. Ciel bleu. Océan bourbeux.
Plage désertique peuplée de quatre gens qui marchent à l'ombre. Enfin non, c'est pas des gens, parce qu'ils sont avec moi et que moi... Ben... Je les suis...
Un homme pêche des vers de terre. Enfin non, c'est pas des vers de terre, c'est des vers de sable, petits serpents qui sifflent au fond du seau de l'homme.
Elle s'approche. J' sais même plus son nom à c' te fille. A ouai, Victoire, Victoire la victorieuse.
Elle demande au type si ça s' mange ces trucs chelous.
Moi j' les regarde comme une bécassine entartrée.
« Mange des pommes ! » que j' me dis, « C'est moins dégueu, c'est moins visqueux que ton vers vert, vers de terre de sable qui pue l'iode moisie ! ».
J'aime pas la mer. Y' a du sable dans mes DC pantoufles.
Non, en fait j'ai pas mis mes shoes de skate today, ça fait jeuns et grunge les pompes de skate, moi j'aime bien avec ma salopette !
Non, aujourd'hui j'ai mes gros écrase merde, mes Doc chéries.
Floc ! Flic ! Flouc ! Je saute dans les flaques comme une gosse de douze ans. J' me sens happy.
J' suis seule dans mon monde, dans mes Doc Martin, couleur martin pêcheur pleine de flotte salée qui mouille. J'ai d' l'eau dans mes pompes. J'ai les chevilles dans l'eau, l'eau monte jusqu'à mes chevilles avec mes Doc martin-pêcheur dans l'eau salée.
J' les regarde hébétée.
Eux ils sont déjà partis s' baigner. En caleçons dans la flotte toute froide...
Prrrrr ! Moi j'y vais pas ! Ça m' paraît trop froid ! En même temps, j' veux pas l' savoir.
Je marche dans l'eau avec mes chaussures et mes collants mouillés.
J' fais un film institutionnel sur Dunkerque. On a fait un film sur l'école aussi, si si !!
Moi, j'suis une fifolle dans ma tête. J'ai d' l'eau dans mes pompes. Pfffff !! J' m' en fiche c'est que d' l'eau !! Mes pompes elles craignent pas l'eau t' façon !!...
Merde de morue salée !! Ben si, j'ai d' l'eau dans mes chaussures !!
Moi j'suis comme une idiote dans mes chaussures aquarium avec mes collants souris grise et ma robe Laura Ingalls.
Eux ils sont déjà tous trempés comme les chiens mouillés, mais ils sentent pas eux au moins !...
Non, j' devrais pas dire ça... C'est pas gentil pour les quiens... Lesquiens.... Lequien... C'est le nom de ma B-M, abréviation de belle mère, belle-doche, ce que vous voulez... J' parle pas d' la voiture rutilante des fils à papa... J' dis les fils à papa... Mais mon papa à moi il aime les grosses voitures aussi... BREF !! C'est pas l' sujet...
Y sont d' jà remontés de la plage... Séchés, pomponnés, rhabillés... Moi, j'ai juste les pieds mouillés... Mes pieds mouillés de chaussures aquarium...
Flouch Flouch !... On remonte de la plage... Ça fait « crac-crac » sous mes pétounes de petit canard boiteux... C'est la maman à Dav' qui m'appellait comme ça.
Moi, j' trouve ça chou... Mais ça fait bébé !... Bref. C'est pas l' sujet.
On est v' nus tourner sur la plage lointaine de lille que seuls les touristes lillois peuvent aimer, même en hiver.
Moi j' trouve ça plat et un peu triste... Mais là c'est beau !! Y' a un beau ciel aquarium et un beau soleil tournesol dans le ciel !!
Snif snif * renifle * « Poouuaa !! ». En plus ça sent l'iode. Ça sent l' mouillé quoi... Dégueulasse...
Toujours le type avec ses vers vert de terre de sable.
Non mais là c'est vraiment trop dégueu !!
« Burp !! », j' détourne la tête. Y ont vraiment des manières cheloues à Dunkerque ! Et avec leur accent à trancher au couteau à beurre, on comprend rien quand ils parlent... Enfin si... Des fois...Ils parlent pas toujours le che-te-mi... Alors on peut comprendre... Parfois...
J' suis sûre qu'ils font m^me peur aux mouettes et aux crevettes avec leurs vers de terre de sable !
« STOP MEUF !! Comment t'as trop des préjugés ! Là faut qu' t' arrêtes !! »
FLOC-FLOC. La petite voix dans ma tête elle me dit qu'il faut pas avoir des vilains préjugés pas beaux... « J' t' en taperai ma babouche sur tes doigts sales ! Vilaine fille !! ».
FLOC-FLOC... J' redescends sur terre...
Y sont déjà à la terrasse d'un café pour boire une bonne bière du Nord.
Moi j'aime la bière... Même si j' suis du Sud mais que ma mère... eh ben en fait... Elle est bretonne.
On est remonté de la plage, ce même jour de grand soleil pissenlit jaune pisse cramoisi, ce jour là même où je t'ai vu pour la dernière fois...
On s'accorde un after à notre pause syndicale du midi pour boire une petite binche avant d'aller engloutir une pizza avec la délégation chinoise, expérience unique dont je me délecte déjà malgré la joie inespérée que m'offrent déjà mes chaussures aquarium qui doivent au moins puer la moule pas fraîche, les vers de terre de sable tous visqueux et crappy.
Le décors est insolite. Un petit café miteux comme il n'y en a que sur les plages tellement monotones du Nord, bien que le nom du café, « L' Iguane », soit plus exotique que dunkerquois...
En plus, l'iguane sur la pancarte, encadré de deux cactus verts fluo, il ressemble plus à un lézard bossu... Enfin c'est laid quoi sérieux !!...
Ça sent les croquettes de crevettes et les moules marinières. Ça me rappelle cette chanson extrêmement peu catholique que l'on gueulait tous les deux dans la rue, la chanson de la chatte, entendue dans ce film de dingue sur une famille belge, « la merditude des choses ». Je marmonne cette chanson dégueulasse : « Le miracle est arrivé ! Ma chatte elle est mouillée mais c'est pas parce qu'il pleut !! » (x3), ce qui me vaut un regard de travers de mes compatriotes de tournage...
J'y peu quoi si j'aime pas la mer et les moules marinières qui puent COMME LA CHATTE DE TA GRAND MERE !! (x3).
On s'est assis à une table... Vous êtes là dans vos calbuts trempés... Comment vous voulez que je vous prenne au sérieux moi ? On est en plein mois de septembre et vous êtes là, assis en face de moi, à demi à poil, comme en plein été, comme si c'était une convention de se boire une bière, à demi à poil, à la terrasse d'un café à Dunkerque...
Y' a que moi qui suis pas à poil quoi merde !!... Bien qu'aussi trempée et frigorifiée que vous dans mes pompes aussi pleines de flotte qu'a Nausicaä qu'on pourrait bientôt faire nager des requis dedans.
On nous apporte enfin nos bières ; moi je me suis accordée le bénéfice d'une petite folie, un monaco violette ; le pot de cacahuètes se transforme bientôt en cendrier, tandis que Chri-Chri raconte la life, mais alors, tellement passionnante de notre école chérie, tellement chérie bordel, que j' suis la seule boubourse du bahut à avoir bougé mon cul pour venir tourner dans un endroit aussi morne et insipide que Dunkerque et même pas pouvoir me baigner à cause de la robe Laura Ingals et des collants souris grise !!
Je mate fixement mon briquet avec la putain d'étiquette de l'EPSM, tellement discret bordel de Dieu vous me direz, perdu entre des bouteilles de Pepsi Cola vides. J'aime pas le Pepsi Cola, c'est bon pour les américains ça !!
J'écoute d'une oreille discrète les blague de Chri-Chri en matant d'un œil fixe et vide de poisson crevé l'immensité de la plage vaseuse baignée dans une lumière blanche d'hôpital, un voile légèrement brumeux baignant la digue de béton grisâtre ou avancent ça et là des couples d'amoureux, des parents avec des enfants gros et braillards ou des vieillards qui se traînent sur leur troisième jambe.
Le spectacle est insolite et délicieux, bien que je m'emmerde profondément quand je regarde la mer...
Et soudain je te vois, toi, le mec que j'ai rencontré au Furet du Nord, entre les stylos quatre couleurs et le blanco, deux ans plus tôt, toi qui a posé ton regard sur ce tas d'os que j'étais, sapé en mode grungy et crado...
Tu as cette même chemise bleu ciel, c'est forcément comme ça que je t'ai reconnu, y' a que toi pour mettre des chemises bleu ciel, ta veste de cuir, ta petite besace kaki et ta démarche de citizen cow-boy qui en a, mais alors, tellement rien , mais rien à branler du reste de l'humanité...
Trois putain de mois que j' t' ai pas croisé à cause du décret à ne surtout pas enfreindre de ta madre, tout ça parce que j' suis une malade psychopathe soi-disant.
Et toi... T'es là putain... Et tu marches sur la digue... Mon cerveau n'arrive pas à rebooter en mode sans échec. Ça clignote « error 404 not found en rouge dans ma tête. J'ai la mâchoire qui pend, la tête sur le côté, avec des yeux de morue salée...
'Faut que j' trouve une excuse bidon pour me lever. J' vous regarde comme une demeurée et murmure un pitoyable : « 'faut que j'aille rincer l'eau des patates. ».
J' me lève d'un trait alors que tu n'es plus qu'une toute petite tâche noire très très loin, tout au bout de la digue.
Et là... J' me dis : « MERDE, MERDE, MERDE !! Bon...Ben...Heu...C'est pas grave... J'ai qu'à aller pisser alors...
Elsa Califano, ESA, 3 ème année